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Quand ma parole m'emporte

Ma voix, supporter ma voix, faire que ma voix porte ! Petite fille, à la maison, il fallait se battre pour avoir la parole. Les plus grands avaient plus de force pour s'exprimer, on les écoutait plus aussi. Moi je faisais partie des 3 petits. Chez nous, la parole des enfants ne comptait pas. On ne les écoutait qu'avec condescendance lorsqu'on avait le temps, et rien de mieux à faire ! Heureusement pour moi j'étais la plus grande des trois petits... alors j'avais quand même un petit public !

Les repas familiaux étaient le temps de parole des grands et, éventuellement, le moment pour les plus jeunes de répondre aux questions des grands s'ils nous faisait l'honneur de s'intéresser à nous. La plupart du temps on me disait de me taire, de faire moins de bruit, d'arrêter de bouger. Mon père ne m’appelait jamais par mon prénom, pour lui j'étais le « buldozère à coulisse » ou la « machine à boucan » ! Charmant n'est ce pas ?

Une fois par mois, mes parents n’emmenaient dans les bois (tiens, une nouvelle version du petit Poucet, « une voix perdue dans la forêt ») et me disaient « vas-y, maintenant, tu peux » ! Alors je me mettais à crier, à crier de toutes mes forces, à rugir, à hurler, à vibrer de tout mon être ! Ma voix n'était pas assez forte pour exprimer la force de ma tension. J'aurais voulu exploser, m'envoler m'ennavalancher. Dans moi, un tsunami contenu tentait de passer rapidement par ma gorge. Mon droit de dire ne durait pas très longtemps. J'aurais eu besoin de le vivre comme un torrent, une cascade, un océan ou le sommet d'une montagne pendant la tempête. J'aurais voulu me rouler par terre, courir au bout du monde, gicler de joie, de rage, d'ivresse contenues... Mais soyons raisonnable j'ai du me contenter de crier sagement quelques minutes par mois... Alors bravement je criais jusqu'à en perdre la voix, sans oser verser une seule larme, de peur qu'on ne m'interdise alors de recommencer.

Il me reste, en plus de ces souvenirs, deux choses par rapport à ma parole aujourd'hui :

  1. Lorsqu'on me pose une question, même très indiscrète (et qui concerne un sujet dont je ne veux vraiment pas parler) je me sens honorée et j'ai un mal fou à ne pas ressentir avec ma gratitude l'envie de tout dire, de répondre, de me répandre, d'avouer, de... Impossible souvent de dire simplement « non, je ne répondrais pas ». Je n'ai pas non plus appris à détourner, à répondre à coté, question d'authenticité : si c'est à moi qu'on s’intéresse comment ne pas répondre « vrai » ?

  2. Lorsque j'ai la parole, lorsque je parle, je le fais souvent en parlant trop fort, trop vite. En moi la peur qu'on me coupe, que je n'ai pas le temps de m'expliquer, qu'on ne m'écoute pas. Je parle avec force et conviction, aucune place pour l'hésitation, j'affirme sans nuance, (comme si en moi je me disais de bien tout dire maintenant, faute de savoir quand je pourrais de nouveau l'ouvrir...) Je suis terrifiée aussi si l'autre ne me répond pas. Face à son silence je me sens niée, annulée, il n'a rien écouté, j'ai parlé pour rien, mes mots sont tombés dans un puits vide...

Voici donc ces deux pavés inscrits dans ma fabrication. Cependant, aujourd'hui je suis très fière de moi lorsque je ne réponds pas à une question personnelle d'une personne qui n'avait pas la légitimité pour la poser. Reste que parfois, quand je parle avec passion, je peux avoir l'air autoritaire ou directive. On m'a parfois reproché d'affirmer mon opinion comme si c'était une valeur universelle et non négociable. Au fond, j'étais juste heureuse de pouvoir parler et d'avoir la sensation d'être écouté... Faire de ma voix une porte de mon être vers l'autre. Porter ma voix vers l'autre pour Être. Être de parole, capable d'écouter et de se nourrir de la rencontre. Être dans l'échange sans autre certitude que d'avoir le droit de m'exprimer, comme tous, et peu à peu apprendre à le faire sans peur d'être muselée.

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photo de Georges Desipris




 
 
 

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