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Paroles de grands pères

Ma femme m'oblige à boire, alors que je n'ai pas soif ! C'est pour mon bien, dit-elle, ordre du médecin ! Si je ne bois pas je serais déshydraté, mais si je bois, je ne suis plus un adulte libre, je ne suis plus un Homme ! Je sens bien que ma femme tient encore à moi, mais elle est à bout. Elle me parle du fond de sa fatigue et de sa peur de me voir si vieux, après toutes ces années passées ensemble. Elle aussi est usée ! Parfois elle devient agressive et méchante ! Une part d'elle aussi m'en veut d'être vieux ! La famille, on la perd quand elle se transforme en « infirmière de garde » ! Ma fille est venue me chercher et m'a gardé auprès d'elle, pour que je sois mieux soigné. Je n'ai plus ma maison, mes habitudes, mes relations, mes affaires, tout mon univers n'est plus là... Et c'est passé où tout ça ? Ils parlent de vider mon appartement, je les ai entendu dire que c'est remplis de « merdier, tout pour la benne » ! Pour eux je serais mieux dans le confort moderne d'un HEPAD qu'ils cherchent ici, pour moi. Ils oublient qu'ils parlent de MES affaires, de ce qui fait ma vie, de ce qui a l'odeur de mon parcours...


Moi j'ai « de la chance », mes gosses ne veulent pas que je « finisse à l'HEPAD », alors ils me prennent à tour de rôle... Chacun son tour de corvée. Je ne parle plus depuis que je n'ai plus de maison. Je change de chambre tous les 15 jours, au réveil, je passe dans leur cuisine, je m'assois à coté de leur télévision allumée que je ne regarde même pas. Je vais un peu dehors, j'écoute les oiseaux. Puis je pars dans la maison suivante, m’asseoir sur une autre chaise, prendre les médicaments qu'ils m'obligent à prendre, pour … pourquoi ? Pourquoi devrais-je prolonger cette vie là ? Où suis-je maintenant ? Pourquoi dois-je vivre ça ? Au début, j'étais venus chez eux pour les vacances et ils m'ont gardé ! C'est bien d'être moins seul, mais je n'ai rien demandé ! La nourriture ici est meilleure que celle que me livrait la commune, chez moi. Maintenant qu'ils m'ont convaincu de rester avec eux, je leur appartiens et ne suis plus qu'un « enfant trop lourd » ! Pourquoi suis-je condamné à sourire et dire merci, alors que je ne me suis jamais sentit aussi perdu ? Eux, dans leur habitudes, se rajoutent juste la « charge du vieux » et généreusement, me privent de « ma vie » !


Ils croient que parce que je suis vieux et dépassé dans pleins de domaines ça leur donne le droit de décider à ma place ? De se passer de me demander mon avis ! Ils feraient quoi eux si on les traitait comme ça ? Pourquoi ils me disputent, me commandent, me contrarient ? Ils disent que c'est pour mon bien, mais à mon âge je croyais avoir gagner le droit d'être libre ! Ils ont décidé de m'emmener au restaurant, « pour me faire plaisir » ? Moi je n'ai pas vraiment le choix, ils n'écoutent plus quand je leur parle. Je me retrouve assis, je n'ai pas faim, je ne veux pas manger. Ils sont furieux... Et moi je suis encore plus seul que quand ils étaient loin ! Lorsque je refuse de leur obéir c'est pour garder un peu de dignité ! Je n'ai plus de maîtrise sur rien, je suis devenu la marionnette de leur bonne conscience, et je n'ai plus la force de partir. Je refuse de pleurer pour les supplier de me respecter mais je voudrais qu'ils me laissent tranquille, vivre à mon rythme ! Je marche lentement si je veux et je refuse d'accélérer ! C'est mon droit ! Comment faire pour qu'ils le respectent ? Ils sont peut-être légitimes dans les reproches qu'ils m'adressent, et pourtant : Je sais bien qu'ils n'aimeraient pas non plus, eux, qu'on les commande, qu'on les contrôle, qu'on les oblige ! M'aiment-ils encore ? Ils ne me le disent jamais. Je n'entends que soupirs et reproches ! Je préférais les voir moins souvent mais que ce soit dans des partages heureux ! Pourquoi ils m'ont pris chez eux, si c'est pour me le reprocher ?


Si seulement ils venaient me voir pour le plaisir et pas pour faire avoir bonne conscience ! Je voudrais qu'ils m'aiment, simplement qu'ils m'aiment bien ! Qu'ils m'aiment pour ce qui je suis et pas pour le « bien » qu'ils me font. Qu'ils m'aiment comme on aime un ami : on va le voir, on partage un moment agréable et puis on rentre chez soit vivre sa vie en le laissant vivre la sienne... Je n'aime pas la vie que j'ai depuis qu'ils ont décidé de me prendre ici... Si je le pouvais, je voudrais m'enfuir. Je ne me sens ni protéger, ni aimer... et j'ai l'impression qu'en plus ils m'en veulent de ne pas être reconnaissant... C'est ça qui va me tuer, pas l'usure de mon corps ! Je sais bien qu'ils font des efforts pour moi ... mais ça me fait si mal leurs efforts ! Je n'ai plus la force de repartir chez moi, je suis prisonnier de leurs attentions bienveillantes au départ et qui sont devenues tellement infantilisantes ! En réaction, il ne me reste que la rébellion, l'envie de tout refuser, de ne plus les aimer à mon tour ! On dirait qu'ils demandent à un vieil âne de faire le cheval et qu'ils lui en veulent de ne pas réussir ! Ils ne me voient plus... Je voudrais revenir à avant : quand ils me laissaient tranquille et qu'ils m'aimaient, quand je réussissais encore à leur cacher mes défaillances, quand ils pensaient encore à moi comme à un homme !


ree

 
 
 

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